Comme vous les savez certainement, le sexe des tortues est déterminé par la température d'incubation, ce petit texte tentera de vous expliquer pourquoi. Si vous avez des questions, n'hesitez pas à poster à la suite!
1/
Généralités Eurotestudo hermanni, boettgeri et hercegovinensis appartiennent à une population de tortues (chéloniens) ayant pour aires de répartition les côtes méditerranéennes (France, Italie, Balkans, etc...).
Eurotestudo hermanni femelle
Eurotestudo boettgeri juvénile
2/
Reproduction et ponte Les tortues appartiennent à la classe des reptiles et sont toutes ovipares, leur fécondation est interne.
Leur activité sexuelle est essentiellement stimulée par la hausse progressive des températures durant l’année, la periode de reproduction s’étend donc du printemps à l’automne. Ces tortues peuvent pondre de deux à trois fois par an. Les oeufs sont enterrés par la femelle durant la ponte, qui peut durer plusieurs heures. L’animal choisit son lieu de ponte suivant les facteurs externes tels que l’ensoleillement potentiel, l’hygrométrie, etc... Ces facteurs jouent donc un rôle très important dans le développement du futur embryon. Les oeufs sont ensuite prélevés par l’éleveur et sont placés dans un biotope artificiel recréé par un incubateur.
Nous allons nous intéresser à l’influence de la température pendant l’incubation dans un milieu artificiel (incubateur) de ces espèces.
3/
Le sexe-ratio thermodépendant La proportion mâle / femelle (sexe-ratio) chez ces tortues comme chez de nombreuses espèces de reptiles (une centaine recencée à ce jour) se détermine pendant une certaine période de l’incubation. Cette période thermosensible couvre environ 18% de la durée d’incubation. On considère que cette période se trouve dans le deuxième tiers de la durée d’incubation.
Ce système est appelé T.S.D. - Temperature-dependant Sex Determination.
La températude conditionne donc la différenciation des gonades au cours de cette période. Il existe alors une plage de températures où l’on obtient 100% de mâles, une plage de températures charnière, située entre 29°C et 30°C chez les tortues méditerranéennes, où l’on obtient environ autant de mâles que de femelles, et enfin une plage de températures où l’on n’obtient que des femelles.
TM: Températures masculinisantes; TF: Temépratures féminisantes; TRT: Températures charnières
Cette différenciation est régie par des hormones sexuelles stéroïdiennes issues du catabolisme du cholestérol, notamment par les oestrogènes, qui sont produits à partir des androgènes. Une enzyme est capitale dans ce mécanisme, l’aromatase. Elle permet de transformer les androgènes en oestogènes.
Une expérience a permis de décrire les implications des oestrogènes et de l’aromatase dans la détermination du sexe des tortues, dans la différenciation des gonades en ovaires ou en testicules. Il s’agit de traiter l’embryon soit avec des oestrogènes, soit avec des inhibiteurs de l’aromatase, soit avec des antioestrogènes, à deux températures différentes (masculinisante et féminisante).
Cette experience démontre que les oestrogènes et l’aromatase sont nécessaires pour la différenciation des tissus gonadiques en ovaires. A défaut, ils se différencient en testicules. On peut d’ailleurs noter une homologie avec la différenciation sexuelle des mammifères lors de l’embryogénèse. Chez les mammifères, le sexe de l’individu est génétiquement déterminé (XX ou XY pour les chromosomes sexuels).
Le cas d’ovotestis se rencontre aussi dans la nature (généralement quand la température d’incubation se situe dans les limites charnières). Ce cas est caractérisé par la présence de testicules fonctionnels, ainsi que quelques ovocytes immatures. Cela s’explique par un léger taux d’oestogènes dans l’embryon, suffisant pour induire la formation d’un cortex ovarien, mais insuffisant pour inhiber la différenciation de testicules. Après la naissance, l’oestrogénémie est trop basse pour préserver le cortex ovarien.
4/
Rôle de l'aromatase L’aromatase est un complexe enzymatique qui permet de catalyser la réaction transformant les androgènes en oestrogènes.
Représentation graphique de l'aromatase
Si pendant la période thermosensible de l’incubation, la température est masculinisante, l’aromatase présente une activité très faible qui dans la plupart des cas ne va pas être suffisante pour catalyser la transformation. Les gonades seront donc des testicules à la naissance. En revanche, si la température d’incubation est supérieure à 30°C, l’enzyme sera assez active pour induire une oestrogénémie féminisante pour l’embryon.
Il est possible mais pas encore expliqué qu’un excès d’hormones masculinisantes (testostérone) exogènes active la synthèse d’aromatase gonadique
Il existe une enzyme permettant la synthèse d’androgènes à partir du cholestérol qui pourrait être impliquée dans la détermination thermique du sexe chez les reptiles: La 3bêtaHSD. Son activité est aussi dépendante de la température d’incubation, mais agirait de manière inverse. C’est à dire qu’elle serait plus présente dans les ébauches de testicules que dans le cortex ovarien. Son implication dans la féminisation ou la masculinisation des gonades reste inconnue à ce jour.
5/
Les gènes concernés Chez les tortues, on n’a pas trouvé de gènes SRY en cause dans la différenciation sexuelle des mammifères, mais on trouve au sein de leur génome 10 gènes de la famille SOX impliqués dans la différenciation des cellules de Sertoli, dont le gène SOX9 qui présente 2 transcrits chez les tortues. L’un de 3,9kB et l’autre de 2,2kB. Ces deux molécules d’ARN subissent une maturation différente. Les transcrits de ce gène se rencontrent dans les gonades ainsi que dans le cerveau pendant toute la période d’incubation, mais leurs proportions sont variables selon la température. En effet, à la fin de la période thermosensible de l’incubation, ce gène SOX9 est exprimé uniquement dans les testicules et non dans les ovaires.
Le gène DRMT1 semble jouer aussi un rôle dans période thermosensible. En effet il est exprimé avant cette période dans les gonades indifférenciées mais cesse son expression dans les ovaires.
On a aussi trouvé le gène AMH (gène de l’hormone anti-Müllerienne) chez les reptiles, comme chez les mammifères. Le produit de ce gène inhibe l’aromatase. Il semble s’exprimer avant SOX9.
On ne sait pas, à ce jour, comment ces gènes interviennent exactement, comment la température ou les oestrogènes influent sur leur expression.
6/
Interaction entre les différents gènes On a découvert que le gène SF1 activait SOX9 et AMH. Ce phénomène serait amplifié lorsque WT1 interagit avec SF1, ces gènes peuvent donc être impliqués dans la féminisation en activant l’aromatase ou dans la masculinisation par l’intermédiaire de l’AMH qui, de par son expression, inhibe l’aromatase.
7/
Influence de la température Nous ne sommes acuellement pas sûrs de l’influence de la température sur certains gènes féminisants ou masculinisants. Mais elle agit certainement sur l’expression de SOX9, ainsi que sur des HSP (heat shock protein), les protéines de choc thermique. Elles sont impliquées dans la liasion des oestrogènes avec leurs récépteurs. En effet, cette protéine sous l’effet de la chaleur libère les récepteurs aux oetrogènes et donc permet à ceux-ci de s’associer et d’activer la genèse des ovaires.
Dans le shéma synthétique suivant, on considère que la transcriptiondes gènes est activée ou inhibée par les oestrogènes selon la différenciation des gonades. Toutefois, l’influence de la température n’est pas complètement déterminée.
8/
Après l'éclosion - épilogueEurotestudo hermanni creusant son nid
Une fois les oeufs pondus et le nid rebouché par la femelle, il faudra environ 90 jours in natura ou 60 jours en incubateur pour que les premiers oeufs puissent éclore. Le nouveau-né perce sa coquille avec sa tête et peut mettre plusieurs heures à se libérer totalement. La petite tortue mettra plusieurs jours à acquérir sa forme définitive, le plastron étant sensiblement plissé à sa sortie de l’oeuf.
Nouveau-né sortant de son oeuf
Il faudra attendre plusieurs années pour que les caractères sexuels phénotypiques puissent être décelés, et environ une dizaine d’année avant qu’elle puisse elle aussi débuter l’ovogénèse et se reproduire. Ainsi elle pourra pondre jusqu’a 20 oeufs par ans durant plusieurs décennies jusqu’à épuisement des ovocytes.
Choupinou
Sources:
-Les tortues «de jardin» par le Dr Lionel Shilliger
-http://www.inrp.fr/biotic/procreat/determin/html/detsexereptiles.htm par Françoise Jauzein
-http://www.ijm.jussieu.fr/Biochimie_du_developpement.php par Claude Pieaude