Dans un coin de province Bretonne, par une fin de journée point vilaine où l’astre du jour rayonnait encore, avant que le ciel, un peu soupe au lait, remît le couvert à grand renfort de nuages, je mitonnais une gratinée pour réconforter les corps transis à l’heure du souper. Ce qui ne se cuisine pas en trois coups de cuillère à pot.
Evoquant des bamboches jusqu’à point d’heure aux petits jours blêmes, des fins de noce canailles, des médianoches conviviaux et chaleureux en retour de sorties frileuses, ce velouté roboratif nécessite du temps, des larmes et moult oignons finement ciselés et caramélisés à feu minuscule, du bon bouillon de volaille, du vin blanc, une larmichette de Porto, des quignons, du gruyère ou du comté râpé à foison, des éclats légers de poivre et mon grain de sel.
Bref, ici et là, tournant à plein régime sur mon idée, je sanglotais en éminçant mes oignons lorsque des grattes-grattes forts discrets me coupèrent de mon élan, me firent lever l’âme du couteau, tendre l’oreille et pointer le regard vers mon petit univers sauvage.
En tapinois, à contre jour et à vent contraire, le cheveu et ma douillette pelure élimée, tâchée, tout imprégnés de l’encens rustique et tenace de mes bulbes lacrymogènes, je me suis approché, encore et encore afin de découvrir la source de ces gratouillis de souris.
L’œil ouvert et ronchon, l’esprit méditatif, Monsieur se réveillait de terre, à l’ombre du philo, en cette fin d’hiver où il convenait encore de se taire et de faire dodo.
Bousculant l’ordonnance anonyme de sa couverture, le pourpoint à peine épousseté, il sortit de son trou, vagabonda sur les sentes buissonnières de la pause, des vers et d’accortes rencontres.
Il s’escrimait à allure réduite, écorçait les environs, aiguillé par la passion. Il fleuretait derrière chaque plante, sur chaque pouce de terrain, sur les
mousses que terrent les limons du coin d’eau vive. Il passait son temps avec minutie sur ce
riche lieu, se montrait à la ronde.
Stoïque par instant, la tête étirée vers le haut, le nez humant l’atmosphère, il semblait vouloir capter la moindre fragrance féminine, ces prometteuses voluptés d’alcôves enivrantes, déclenchant l’embrasante efflorescence du désir. Songeur, il ouvrait le livre de sa mémoire, en emplissait
la garde d’air capiteux qui comme par enchantement venait à lui, lui ouvrait par botte les yeux et les oreilles, faisait mouche, lui rappelait une farandole de messages charmants tourneboulant, épinglant les sens.
En effet, il suffit parfois de cueillir en passant les impalpables et éphémères volutes de quelque parfum, né d’une chevelure, d’une joue accueillante, d’une nuque chaude, du repli d’un bras, de l’envers d’un poignet, d’une aisselle proprette et autres petits creux perdus du corps pour se sentir un peu amadou, boutefeu ou, à mot couvert, ému. Mais là, derechef, je m’égare un peu.
A vrai dire, je sentais mon chevalier Terrapene plus enclin à jouer les fins limiers, à subodorer les pistes, à sublimer d’heureux présages en sentant la jouissance poindre au fur et à mesure de la traque qu’à trouver sa convoitise. Cette battue aux odeurs l’occupait, le ragaillardissait. Il s’attachait plus au temps de la chasse qu’au temps d’une éventuelle prise, de la possession qui, d’un coup impulsif et jouissif, tue le charme de l’affaire.
Il faut sans doute être chasseur pour ressentir ces choses là…
La journée s’étirait. Désireux de ne point lanterner, n’entrevoyant pas de charmantes et illuminées turbulences, d’un pas décidé, grisé par les chaleureux rayons solaires et un peu las de crapahuter, les pattes croisées tel un enfant sage, il voua son corps aux baisers soleilleux, au réchaud de ses souvenirs amenant sûrement quelques grenouillages en tête.
Coupée du monde, loin de toutes intrigues amoureuses, sa reine, rêvassait toujours, emmitouflée quelque part, Dieu sait où.
Okey, okey, Je retourne à mes oignons.